György Ligeti 100 

Durant plus d’un demi-siècle de composition, György Ligeti (1923-2006) a manifesté à intervalles réguliers une inclination certaine pour l’humour musical, mais un humour qui se laisse d’autant plus difficilement aborder qu’il se pare souvent d’attributs divers et de références plurielles. 

Tout a commencé en Hongrie par une blague potache et légèrement subversive. Sa Grande Symphonie militaire (1951), d’une durée de trois minutes, affublée d’un faux «opus 69» à la connotation triviale, se voulait «une plaisanterie […] visant un peu la situation politique1» composée «dans un esprit de sarcasme et de dérision volontaire». 

Puis est apparu l’humour néoclassique lié au style du scherzando, inspiré de Stravinsky et de Prokofiev, à travers le motorisme maniaque, les articulations piquées, les cellules obstinées, les interruptions inattendues, les facéties instrumentales, autant de caractéristiques dont regorgent les mouvements impairs des Six bagatelles pour quintette à vent (1953). 

Les premières années européennes ont connu une inflexion vers le fantastique, qu’illustrent les «aspects comiques […] terrifiants» d’Aventures (1962-1965) – à propos duquel il estimait que le public ne riait «peut-être pas assez» –, mais aussi vers la fantaisie à travers le dadaïsme humoureux de deux performances à résonance cagienne (Trois bagatelles pour un pianiste, L’avenir de la musique), virant parfois à l’autodérision, puis à l’autoparodie dans Fragment pour orchestre de chambre (1962). 

Au tournant des années 1970, l’enthousiasme provocateur des premières années disparaît au profit d’un humour noir et cynique, porté en particulier par les multiples citations dans son opéra, Le Grand Macabre. Empreintes de brièveté, de mystère et d’absurde, les dernières œuvres vocales, qui nous intéresseront plus particulièrement, résonnent comme une synthèse coruscante d’un parcours humoristique fort diversifié, désormais fixé entre la parodie citationnelle – l’une de ses quatre fonctions esthétiques selon Zofia Lissa – et un sonorisme burlesque, évoquant l’idée chère à Bergson du rire mécanique. 

Ces deux partitions sont les Nonsense Madrigals (1988-1993) pour six voix masculines, et la dernière œuvre achevée, Síppal, dobbal, nádihegedűvel (2000) pour mezzo et quatre percussionnistes. Composé pour le premier d’après des textes fantastiques de Lewis Caroll, William Brighty Rands et Heinrich Hoffmann et sur des aphorismes poétiques de Sándor Weöres, ces deux partitions mettent en jeu un humour fantasque et absurde, parfois masqué, associé à une écriture riche en résurgences modales ou tonales (accords parfaits, diatonisme, mélodisme conjoint, ostinatos, etc.), emblématiques du style tardif de Ligeti…

(source: Étienne Kippelen, L'humour en musique)

Dans notre podcast musical, nous écoutons sa Sonate pour violoncelle en deux mouvements, dans l'interprétation du regretté Alksandr Khramouchin (2002).

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